PAROLES D’ACTEURS.RICES – Entretien avec Dr Cindy Morillas, chercheuse engagée

« En deux mots, je suis une chercheuse engagée. »
A l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, découvrez un entretien inédit avec Dr Cindy Morillas, chercheuse engagée et bénévole chez Agir ensemble pour les droits humains.

Qui êtes vous ?

En deux mots, je suis une chercheuse engagée. Je soutiens en 2015 une thèse à Science Po Bordeaux, laboratoire Les Afriques dans le Monde, sur les engagements militants étudiants des universités publiques dans le contexte autoritaire du Cameroun, pays où il existe un flou juridique sur le droit des étudiant.e.s à se syndiquer et que ces dernier.e.s s’approprient tout de même. De 2017 à 2019, je suis postdoctorante du Centre pour le changement social de l’université de Johannesburg. Je mène une recherche sur l’engagement des femmes dans six partis d’opposition camerounaise, avec un terrain centré autour de la présidentielle d’octobre 2018. J’ai observé qu’une diversité de femmes, en termes d’âge et de milieu social d’origine, réussissent à braver le contexte autoritaire et patriarcal local. Ainsi, deux femmes ont été élues présidentes de leur parti, Kah Walla pour le Cameroon’s People Party et Issa Habiba pour l’Union des Populations du Cameroun officielle. Cette dernière, issue de la région la plus pauvre, l’Extrême nord, est survivante d’un mariage forcé. En parallèle du choix de mes sujets de recherche, je m’engage bénévolement notamment à Bordeaux au sein de l’association Survie et à Johannesburg au sein du groupe des féministes du centre de recherche. À Lyon, depuis cette année, je suis engagée au sein d’Agir ensemble. Ma mission est de développer la stratégie de l’association en vue de contribuer au maximum, et de façon transversale, à l’égalité des genres et des sexualités.

17 ans après l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, quelles évolutions notez-vous ? La situation s’est-elle améliorée ou détériorée ?

Rappelons d’abord que cette déclaration, adoptée seulement en 1993, définit pertinemment la violence à l’égard des femmes comme tous les “actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée” (article 1er). Cette déclaration a permis de fournir un cadre d’action national et international, de renforcer le déploiement de fonds pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et, surtout, de lutter contre la culture de la violence, et notamment la culture du viol, encore si prégnantes dans le monde. Cependant, en 2020, lors de la 64e session de la Commission de la condition de la femme (sic), les dirigeants ont promis d’intensifier leurs efforts pour mettre pleinement en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, adopté lors de la 4e conférence mondiale sur les femmes de 1995, et en particulier pour mettre fin à toutes les formes de violence et de pratiques préjudiciables à l’égard de toutes les femmes et filles, révélant ainsi que, 15 ans après Beijing, le maximum des moyens n’avait toujours pas été déployé pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Je crois que l’impact des mobilisations des actrices et acteurs au quotidien est particulièrement important puisqu’en général les mobilisations populaires précèdent les institutions. Heureusement, par exemple, que les actrices et acteurs des mobilisations féministes contre le viol sont apparues dès le début des années 1970 en France. Autre exemple en Gambie, il existe depuis 1984 le Gambia Committee on Traditional Practices Affecting the Health of Women and Children (GAMCOTRAP) qui combat les mutilations génitales féminines alors que ce n’est qu’en décembre 2012 que l’ONU adopté une résolution historique exhortant les États à éliminer les mutilations génitales féminines.

La pandémie de COVID-19 a-t-elle eu un impact sur les violences perpétrées contre les femmes et les filles ?

Oui, selon un communiqué de presse d’ONU-Femmes citant Phumzile Mlambo-Ngcuka, sa directrice exécutive, « la violence contre les femmes était l’une des violations des droits humains les plus répandues. Depuis le confinement, elle s’est multipliée et se propage à travers le monde telle une pandémie fantôme ». L’on pense d’abord aux situations de confinement. L’on sait depuis les confinements de la première vague que tous les types de violence contre les femmes et les filles, et surtout la violence domestique, se sont accrus. Les domiciles sont devenus des pièges à huis clos pour les victimes de partenaires ou parents violents. La charge mentale a également augmenté pour les femmes qui se sont souvent retrouvées face à des charges ménagères et éducatives accrues. Elles sont aussi davantage exposées au risque de viol conjugal.
« L’on sait depuis les confinements de la première vague que tous les types de violence contre les femmes et les filles, et surtout la violence domestique, se sont accrus. Les domiciles sont devenus des pièges à huis clos pour les victimes de partenaires ou parents violents. »
Dans un rapport adressé en juillet 2020 par Human Rights Watch à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes, l’association a exprimé ses préoccupations quant au risque de violence domestique dû notamment au stress psychologique, à la difficulté de vivre dans des foyers étroits à et l’efficacité réduite des systèmes de soutien communautaire. Les femmes âgées sont en addition confrontées au risque accru de complications médicales en cas d’exposition au Covid-19. Les femmes handicapées sont exposées au risque s’abus, que ce soit dans des institutions ou parfois au domicile familial. Selon des organismes de soutien aux femmes au Royaume-Uni, la crise du Covid-19 a exacerbé la difficulté pour les femmes issues de minorités ethniques, ou les femmes migrantes, à accéder aux services d’aide, souvent en raison du manque d’appareils numériques.

Que peuvent faire les acteur∙rices de la solidarité internationale pour lutter concrètement contre les violences faites aux femmes ?

Pour que les acteur∙rices de la solidarité internationale luttent concrètement contre les violences faites aux femmes, je reprendrai les trois modalités d’intervention d’Agir ensemble : prévenir, protéger et dénoncer. Elles et ils peuvent exercer des actions de sensibilisation pour prévenir ces violences :
  • former sur l’égalité des genres, puisque les violences contre les femmes sont sous-tendues par des représentations sexistes patriarcales du genre,
  • former aux droits des enfants, puisque les violences contre les enfants, dont les filles, sont sous-tendues par des représentations selon lesquelles l’enfant n’a pas ou peu de droits
  • former à la non-violence, puisque les violences sont également sous-tendues par des difficultés à gérer ses sentiments et leur expression.
Elles et ils peuvent protéger :
  • travailler en partenariat avec des acteur∙rices reconnu∙e∙s dans la lutte contre les violences faites au genre féminin
  • proposer des services pour protéger les femmes contre les actes de violence
  • accompagner les victimes dans leurs démarches sanitaires, juridiques, administratives, etc.
Elles et ils peuvent dénoncer :
  • récolter des témoignages pour les diffuser publiquement en anonymisant les personnes concernées
  • mener des campagnes adaptées aux réalités locales contre les violences faites aux filles et aux femmes
Photo : Entretien de Cindy avec Issa Habiba, présidente de l’UPC institutionnelle, à Douala le 6 nov. 2018. Photo prise par Clémence Lontsi.
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