En ce jour du 28 juin 2024 sont célébrés en Colombie les deux ans du rapport final de la Commission de la Vérité et de le Réconciliation – Hay Futuro si hay verdad (“Il y a un avenir s’il y a une vérité”) – faisant état de tous les crimes commis lors du conflit armé. Cette Commission a été créée dans le cadre des accords de paix signés en 2016 entre le gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée Populaire (FARC-EP). L’objectif principal de cette Commission était de mener un travail d’enquête dans le but de comprendre et expliquer les causes du conflit armé et faits commis durant celui-ci. Un travail de reconstruction de la mémoire collective et de reconnaissance des faits afin de permettre aux territoires de rétablir des liens pacifiques sur le long terme, et aux victimes d’obtenir des réponses aux agressions subies. Le rapport final de la Commission a été publié après plus de quatre ans d’enquête durant lesquelles ont été reccueillis 14.971 témoignages et interviewées près de 30.000 personnes provenant de différentes régions et secteurs du pays. En faisant le bilan de plus de 50 ans de conflit armé, le rapport présenté par la Comission s’est avéré terrifiant, comptabilisant – entre 1964 et 2019 – près de 700.000 personnes assassinées, 121.768 portées disparues, environ 50.000 enlevées et 8 millions contraintes de quitter leur territoire, déplacées par la force.
Les onze commissaires en charge des investigations et de la production du rapport ont émis, à la suite de celui-ci, des recommandations pour atteindre la paix et garantir la non-répétition. Ces recommandations ont été intégrées au Plan National de Développement 2022 – 2026 “Colombie, une puissance mondiale de la vie”, adopté par le Gouvernement de Gustavo Petro dans lequel sont détaillées les projets, objectifs et priorités du gouvernement pour les quatre années de législature. Cependant, malgré les mesures mises en place, la création de nouvelles institutions telles que la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) et les négociations entreprises avec les différentes guerrillas et groupes paramilitaires, la situation en Colombie reste très critique et de nombreux territoires sont toujours soumis au conflit armé et vivent dans l’insécurité et la violence quotidienne. Lors de sa dernière mission d’observation sur terrain du 15 au 19 avril 2024, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) a observé de grandes lacunes dans l’application des recommandations issues de la Commission de la Vérité, notamment au niveau de la protection des communautés autochtones, afrodescendantes, noires, LGBTIQA+, des femmes, enfants, adolescent.e.s et jeunes. La persistence du conflit armé dans les zones rurales, la recrudescence de la violence dans les villes et le développement du narcotrafic fait des milliers de victimes chaque année, et contribue à la perte de confiance de la population dans le gouvernement colombien. De nombreux territoires sont complétement délaissés par l’Etat colombien et n’ont noté aucune différence dans leur quotidien depuis les Accords de paix de 2016 entre les FARC-EP et le gouvernment. En effet, la signature des accords a donné lieu à la création d’environ 25 groupes dissidents des FARC-EP ne souhaitant pas déposer les armes, s’ajoutant aux autres groupes armés déjà existants.
Actuellement, le gouvernement traverse une situation de crise dans le dialogue avec l’Armée Nationale de Libération (ELN), groupe armé d’idéologie marxisto-léniniste qui s’inscrit dans le courant de la théologie de la libération – mouvement socio-politique visant à rendre dignité et espoirs aux pauvres et exclus. Ce groupe a été créé en même temps que les FARC-EP et s’est converti en l’un des principaux groupes armés de Colombie depuis les accords de paix de part son ancienneté et ancrage. En février, une prolongation du cessez-le-feu a été adoptée, cependant l’annonce du gouvernement d’entamer des négociations avec le groupe “Frente Comuneros del Sur” – ancienne faction de ELN – a créé des tensions dans les relations entre le gouvernement et l’ELN, qui catégorise cette décision de “trahison et non-respect des accords”. Le 24 juin 2024, un cycle de négociations entre le gouvernement colombien et la guerrilla “Segunda Marquetalia”, dissidente des FARC-EP qui a repris les armes en 2019, s’est ouverte à Caracas, au Vénézuela, en vue de trouver un accord de paix. Toutefois, le chemin pour atteindre la “Paix Totale” est encore long, le 21 avril dernier de grandes manifestations ont eu lieu, rassemblant près de 500.000 personnes dans tout le pays, pour dénoncer l’insécurité et la violence qui perdurent malgré les négociations de paix avec les groupes armés. Les données relatives au nombre d’assassinats, recrutements forcés d’enfants et jeunes, déplacements par la force et d’enlèvements restent très élevées avec près de 425 massacres faisant environ 1.566 victimes entre 2019 et 2023, 167.540 déplacements par la force pour la seule année 2023 dont 37% concernait directement les populations autochtones, afrodescendantes et raizal. En 2023, le Défenseur des Droits Colombien faisait état de 184 cas de recrutements forcés d’enfants, jeunes et adolescent.e.s, sachant que ce nombre reste approximatif aux vues de la difficulté de recensement due aux nombreuses formes que celui-ci peut prendre.
Par conséquent, en ce jour anniversaire du rapport final de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation le bilan est mitigé. Huit ans après la signature des accords de paix, représentant la fin officielle du conflit armé, et deux ans après la publication du rapport et la mise en place du programme de Paix Totale, l’insécurité, la violence, les violations aux droits humains et au droit international humanitaire sont toujours d’actualité et rythment la vie des colombiennes et colombiens. La route pour atteindre la paix dans le pays et garantir l’effectivité et le respect des droits de l’ensemble des colombiennes et colombiens est encore longue. Depuis Agir Ensemble pour les droits humains nous encourageons les autorités nationales à prendre davantage en compte l’impact diférencié du conflit sur les minorités et à mettre en place des mesures en relation étroite avec les représentant.e.s locaux et régionaux afin de permettre l’adoption de réponses adaptées aux particularités de chacun.e, renforcant ainsi la participation des citoyen.ne.s dans le processus de paix et favorisant la coexistence pacifique des différents territoires. Dans cette optique, nous soutenons deux organisations colombiennes dans le cadre du projet “Femmes, enfants et jeunes libres de violences à Buenaventura – Phase III” pour la prévention des violences et la construction de la paix. .
Pour plus d’informations sur la Commission de la Vérité, son travail, son histoire, les témoignages reccueillis, nous vous invitons à vous diriger vers le site internet: