Derrière le mythe de la géothermie les violations des droits humains

Le respect de l’environnement est un mythe que le gouvernement et les investisseurs dans le domaine de la géothermie véhiculent toujours auprès des communautés vivant sur les sites de projets géothermiques. Les communautés qui se laissent piéger par ce mythe sont aujourd’hui confrontées à de graves impacts environnementaux et sociétaux. Un article de Era Purnama Sari, avocate spécialiste des droits humains et de l’environnement

Cet article fait partie de la publication « Paroles de défenseuses de l’environnement au Brésil, en Indonésie et en Colombie. »

Une série d’articles, rédigée par des défenseuses des droits humains et de l’environnement, accueillies en France en 2022 dans le cadre de dispositifs temporaires de relocalisation pour les défenseuses des droits humains et de l’environnement en danger.

Publication par Agir ensemble pour les droits humains et la Plateforme Droits de l’Homme – PDH, à l’occasion d’un événement organisé par la Ville de Lyon et la Plateforme Droits de l’Homme, le 10 décembre 2022, journée internationale des droits humains.

Le coût humain et environnemental de la géothermie

Tout d’abord, les communautés locales impactées perdent leurs moyens de subsistance. Les agriculteurs ne peuvent plus profiter de leurs récoltes habituelles : les cultures telles que le maïs, le café, le riz et d’autres ont connu une énorme baisse de rendement sur les sites de géothermie. Bien que les plantes portent des fruits, leur contenu est pourri, non comestible et non vendable. Dans ces zones, des torrents de boue brûlante apparaissent soudainement dans les champs et les habitations, obligeant les populations locales à se déplacer et à couper leurs liens historiques avec la terre. À Matoloko, par exemple, plus de 50 coulées de boue brûlante se sont déversées et grossissent, passant de 100 mètres de diamètre à un lac de boue chaude de plus de 30 mètres de diamètre, en deux ans.

Par ailleurs, les centrales géothermiques est le rejet de gaz toxiques, notamment de sulfure d’hydrogène et de dioxyde de soufre. 214 personnes ont été intoxiquées au gaz au cours de la  dernière année, dont 5 sont décédées. Cette constatation est confirmée par une série d’intoxications massives survenues dans l’une des zones de projet géothermique appartenant à PT Sorik Marapi Geothermal Power (SMGP) dans le village de Sibanggor Julu, district de Puncak Sorik Marapi, régence de Mandailing Natal (Madina), Sumatra Nord en Indonésie. Le 27 septembre 2022, des dizaines de personnes ont de nouveau été intoxiquées par le gaz sulfure d’hydrogène (H2S) provenant des activités de PT SMGP. Ce jour-là, une odeur désagréable, comme d’œufs pourris s’est dégagée de la plateforme de forage T-11 de PT SMGP et c’est répandu dans les zones résidentielles. Le lendemain, le Réseau de défense des mines (JATAM) a indiqué que 87 victimes ont été hospitalisées. Il s’agit de la deuxième intoxication massive en un mois et du sixième incident depuis 2021. Ces incidents d’empoisonnement collectif font vivre les population dans la peur, dans l’attente des annonces de l’entreprise. Certaines personnes ont également perdu leur bétail dans le poison gazier. Ces pertes n’ont jamais été prises en compte par le gouvernement ou la société ; il n’y a pas de sanctions strictes, seulement une suspension temporaire et l’entreprise reprend généralement ses activités après un mois.

Crédit : Ibh padang
Crédit : Ibh padang
Violations massives des droits humains soutenues par le gouvernement

Avec ce mythe d’une énergie géothermique propre et verte, l’Indonésie a multiplié les projets sur son territoire. Selon le Réseau de défense contre l’exploitation minière (JATAM), il existe 11 zones de travail géothermiques réparties dans toute l’Indonésie pour une superficie totale de 1,1 million d’hectares, soit environ 230 fois la superficie de la Ville de Lyon, qui est de 4787 hectares. 

En 2014, le gouvernement a modifié la loi sur la géothermie afin de définir la géothermie, non plus comme une exploitation minière mais, comme un service environnemental, permettant ainsi à l’exploitation géothermique de pénétrer dans les forêts protégées et même dans les zones de conservation, qui, selon les investisseurs, contiennent 70% de l’énergie géothermique.

Par ailleurs, la nouvelle loi suppriment l’obligation d’obtenir l’accord préalable des communautés locales au lancement d’activités géothermiques sur une zone. Depuis le gouvernement et les forces de l’ordre répondent de manière répressive aux refus de la communauté en matière de géothermie et durcit la loi pénale pour punir toute personne qui perturbe ou entrave les activités d’exploitation minière géothermique d’un emprisonnement maximal de deux ans (contre six mois au préalable) ou à une amende maximale de six milliards de rupiahs, soit l’équivalent de 375 000 euros (contre de cent millions de rupiahs, soit l’équivalent de 6 250 euros au préalable).

Crédit : Ibh padang
Crédit : Ibh padang
Protestations en hausse

Au cours des dernières années, la communauté est devenue plus critique envers la géothermie et se mobilise, pour obtenir des informations transparentes sur cette énergie, à travers des organisations telles que JATAM, LBH Padang, Walhi Surabaya, KruHa et LBH Semarang. Le mythe du gouvernement ne fait plus recette et la vague de rejet de l’énergie géothermique prend de l’ampleur, comme dans la communauté de Padang Rincang, dans le centre de Java, et dans la communauté de Waesano, dans l’est de Nusa Tenggara.

Le gouvernement ne semble pas préparé à faire face aux diverses remises en cause du mythe géothermique et  continue de nier les risques, de ne pas répondre de manière convaincantes aux populations affectées. Les entreprises, elles, continuent d’affirmer que leur technologie est sûre et respectueuse de l’environnement, mais refusent de débattre ouvertement. En 2016, suite aux inondations soudaines à Bengkulu, supposément dues à des catastrophes naturelles et non à la géothermie, l’Institut d’aide juridique de Padang, au nom de la communauté de Gunung Talang, a demandé la divulgation des résultats des études gouvernementales sur les impacts de la géothermie. Après une bataille judiciaire, la Commission centrale d’information a tranché : les études d’impacts géothermiques sont des informations publiques. Cependant, pour publier des résultats, faudrait-il encore que des études aient été menées…

Vers une sortie du mythe vert ?

Avec la circulation rapide d’informations sur divers événements liés à la géothermie, le gouvernement ne peut l’éviter et doit bien reconnaître les risques existants. Ainsi, en réponse à l’empoisonnement collectif du 27 septembre 2022, Harris, le directeur de la géothermie à la Direction générale des énergies nouvelles, renouvelables et de la conservation de l’énergie (EBTKE), a déclaré que les activités de test d’écoulement des puits géothermiques comportent des risques, dont l’un est le dégagement de gaz H2S et a préconisé que le processus soit anticipé et encadré par des procédures strictes.

Le gouvernement indonésien doit immédiatement cesser de délivrer des licences géothermiques et évaluer, de manière transparente et inclusive, les projets géothermiques existants. Ces évaluations doivent reposer sur les communautés locales affectées et des experts compétents et indépendants. Les résidents concernés doivent être immédiatement rétablis dans leurs droits. Les projets géothermiques qui ont un impact sérieux sur l’environnement doivent être annulés. Il ne doit y avoir aucune tolérance pour les violations des droits humains, même au nom d’une énergie pseudo verte.

 

Era Purnama Sari est une avocate indonésienne, spécialisée dans les droits humains et l’environnement. Elle a obtenu le 7 août 2021 le prix Anugrah SK Trimurti 15 de l’Alliance des Journalistes Indépendants (AJI) pour son engagement en faveur des droits peuples autochtones affectées par la déforestation et les projets de développement en Indonésie.

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