[PAROLES D’ACTRICE] « Mon histoire me sert à éveiller les consciences » : Rose, activiste rescapée du trafic sexuel

Cet entretien est le premier d’une série initiée dans le cadre de la Journée internationale des luttes pour les droits des femmes (8 mars), et consacrée aux femmes défenseuses des droits humains à travers le monde. Les femmes qui partagent leurs témoignages dans cette série de portraits ont été accompagnées dans le cadre du projet WHRD Window Safety Net, en 2023.

Rose Sanjoh Egbe Agbor est une activiste camerounaise rescapée d’un réseau de trafic sexuel et de travail forcé. Elle est aujourd’hui spécialisée dans l’accompagnement des femmes et des jeunes filles victimes de traite et de violences basées sur le genre au Cameroun.

TW : Certains propos rapportés dans cette interview peuvent heurter ou font référence à des sujets sensibles (violences sexuelles, suicide).

Quelle est l’origine de votre engagement ?

Je suis née dans une famille où les femmes étaient perçues comme inutiles. J’ai deux sœurs ; nous avons toutes les trois été victimes d’abus de la part de notre oncle et d’autres membres de notre famille paternelle. Mon père est décédé quand j’avais 24 ans ; il nous a légué tout ce qu’il possédait, à moi et à ma mère, mais ses frères nous ont privées de tout cet héritage – y compris notre maison –, et ils ont fait emprisonner ma mère. À la suite de cela, je suis partie au Koweït, car mon cousin m’avait promis qu’une opportunité d’emploi comme enseignante m’y attendait sur place. Je l’ai cru ; j’ai pensé que j’allais ainsi permettre à ma mère et mes sœurs d’accéder à une vie meilleure. C’était en fait un piège : mon cousin m’a attirée dans un réseau d’exploitation sexuelle et de travail forcé.

J’ai été victime de nombreux abus sexuels et physiques pendant mon séjour au Koweït. J’ai fait trois tentatives de suicide. Au bout de 8 mois, ma famille maternelle a décidé de racheter ma liberté en payant 6 000 dollars, et je suis revenue dans mon pays, plus frustrée et désespérée que jamais. De retour chez moi, j’ai fait deux tentatives de suicide ; ma mère et mes sœurs ont été extrêmement affectées par cela. Après ces évènements, j’ai décidé de me servir de mon histoire pour éveiller les consciences : cela a été le début de mes activités de défense des droits humains.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les actions que vous menez pour les droits des femmes ?

La mission de notre association Fund for Women in Development est de promouvoir la dignité et la liberté des femmes et des filles qui subissent des violences basées sur le genre, en particulier les survivantes de traite, en leur proposant un accompagnement holistique, individualisé et empathique. Nous luttons contre ces violences à travers le renforcement de capacités et la conscientisation des communautés, la diffusion de connaissances sur les droits des femmes, sur la santé sexuelle et reproductive et sur l’accès aux droits, mais aussi par le biais d’actions de plaidoyer, ou encore par l’octroi de micro-crédits aux femmes en situation de vulnérabilité.

Quelles sont les violations des droits humains dont vous avez été témoin en tant que défenseuse des droits humains dans votre zone géographique ?

En tant que femme défenseuse des droits humains, j’ai fait l’expérience de très nombreuses violations des droits des femmes à l’intérieur de nos communautés : les mutilations génitales, les mariages forcés précoces, la haute récurrence des viols qui restent impunis, les cas extrêmes de violences conjugales et domestiques, ou encore les violences économiques et psychologiques, qui sont également très fréquentes dans nos communautés.

Quelles difficultés particulières rencontrez-vous en tant que femme dans votre travail ?

Ma famille et moi avons reçu un nombre incalculable de menaces : des hommes armés sont venus chez moi ; mon mari a été agressé et blessé par balle ; nos locaux associatifs ont aussi été visés, des documents et du matériel ont été volés et détruits… J’ai dû être relocalisée plusieurs fois pour échapper au danger, ce qui a été possible notamment grâce à l’appui du Women’s Peace and Humanitarian Fund, qui m’a permis de mettre ma famille en sécurité, de me ressourcer mentalement et d’avoir un répit pour penser à la meilleure manière de planifier la suite de mon travail.

 

Que représente POUR VOUS la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars ?

Pour moi, le 8 mars est une journée de célébration de la force, de la résilience et des accomplissements des femmes.

 

Quelles sont vos recommandations pour mener des actions concrètes en faveur des droits des femmes dans votre contexte et dans le monde ?

Je pense qu’il faut mener de nombreuses actions de plaidoyer et de conscientisation sur les droits des femmes pour expliquer aux communautés qu’elles vont bénéficier de la concrétisation de ces droits. Le développement économique et l’empowerment sont également vitaux pour renforcer les droits des femmes. Quand les femmes sont indépendantes d’un point de vue économique, elles sont moins susceptibles d’être victimes d’abus.

Un mot pour la fin…

Nous sommes le changement que nous souhaitons voir advenir, et notre voix est un outil pour construire notre nation.

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